Entre amour de l’objet et dématérialisation des contenus, mon coeur balance

J’avais déjà abordé vaguement le sujet dans mes considérations sur le statut de bi-classé geek-Vert. Mais je préfère y revenir plus en détails parce que c’est vraiment une question qui me trotte en tête. Achat de musique en ligne, VOD, streaming, peer2peer, ebooks, tablettes, liseuses, mp3,… Autant de technologies et de termes qui renvoient à une dématérialisation des contenus culturels. Les avantages sont nombreux, les inconvénients sont là aussi. Petit tour d’horizon…

Les aspects positifs sont évidents. Je peux acheter un titre musical, un livre, un film où je veux et quand je veux (ou presque, il faut juste un accès au web). Genre qu’avec mon smartphone, je peux entendre une musique à la radio, demander à l’appareil de quel titre il s’agit puis aller directement l’acquérir. Hop, le tour est joué. Il y a aussi (très important) la question de la place. Pour ma part, chez moi, je ne sais plus où mettre  mes DVDs, CDs, bouquins, BDs, jeux de rôles,… Pas assez de murs pour y mettre des étagères, pas assez de place, on empile, on fait des strates et des couches. La question se pose différemment pour les divers médias.

Mes CDs, je les stocke tous sur mon ordi et je peux ainsi les lire à la maison sur mon home-cinema facilement, accéder à toute ma musique en quelques clics ; le tout encore simplifié avec les titres stockés sur mon smartphone. Du coup mes CDs prennent pas mal la poussière et je peux les stocker sans me dire que j’ai envie de les ressortir tous les jours. Dès lors, pourquoi continuer à acheter des CDs? Parce que je reste malgré tout assez old-school et que j’ai cet amour de l’objet. Surtout si j’arrive à avoir une belle édition d’un disque, genre un digipack ou un truc collector avec un CD de bonus, etc. Oui c’est un aspect de collectionnite, mais cela reste très agréable. Et puis il y a la frime de montrer ma CD-thèque aux gens de passage. Sans compter le petit plus du « ah tiens, ça, ça devrait te plaire, je te le prête » et hop je sors le disque. Parce que avec du tout-dématérialisé, ben il vaut mieux que la personne ait au moins sa clé USB avec elle pour que je puisse lui « prêter un disque ». Et que l’on prenne le temps d’aller allumer l’ordinateur, etc. Nettement moins convivial. J’ajouterai à cela le souci des DRM (Digital Rights Management), les systèmes de protection intégrés par pas mal de boutiques de musique en ligne, qui limitent l’écoute des morceaux. Le pire : quand ma femme achète un morceau sur iTunes, une fois que le morceau est passé sur le smartphone et un autre truc, paf je ne peux plus l’écouter sous ma session sur l’ordinateur, le comble quand même! Avec ces DRM, on se retrouve à avoir finalement moins de liberté d’écoute qu’avec les CDs, c’est quand même n’importe quoi. Bref, je ne suis pas encore prêt à faire le pas, même si toutes les plateformes d’achats en ligne ne brident pas les morceaux. Je reste trop attaché à l’objet. Du reste, je ne pense pas, comme l’annonce Paul Da Silva, que le CD va mourir ; tout comme le CD n’a pas tué le vinyle, le CD n’est pas prêt de mourir. Il faut pour cela que l’industrie musicale pense à se renouveler et réfléchisse à la plus-value du CD, à ce que peut apporter en plus la possession de l’objet par rapport à la musique seule (récemment par exemple l’exemple de la « newspaper edition » du King of Limbs de Radiohead).

Pour mes DVDs (et ça comprend aussi les blue-ray évidemment), je ne fais pas pareil. Oui je pourrais aussi cracker mes disques et les mettre sur mon media-center pour les regarder sans avoir à tout le temps farfouiller parmi les boîtiers. Mais bon, c’est un processus autrement plus lourd et plus long pour mon ordinateur que le rippage d’un CD ; sans parler de l’espace disque nécessaire pour stocker ce genre de contenu. Mais je continue à les regarder à partir du disque, justement entre autres parce que j’aime bien fouiller parmi les boîtiers et regarder les trucs. Là aussi, les éditions spéciales sont un gros plus pour garder les objets en eux-mêmes. Alors après y’a l’achat en ligne, la VOD et autres. Plusieurs problèmes. Un peu les mêmes que l’on retrouve avec les supers offres du « téléchargez une copie du film à l’achat de ce blue-ray » et là je me gausse. Les témoignages sur le web sont nombreux (exemples ici ou ) de procédures complexes, de lectures bridées, d’incompatibilité avec bien des appareils, de temps fou pour y arriver, d’installation de logiciels dont on ne sait exactement ce qu’ils font, d’ouvertures multiples de comptes à gauche et à droite, etc. Rien de bien folichon. DRM et autres sont aussi au programme. Et puis il y a encore et toujours le fameux « tiens il a l’air cool ce film, je peux te l’emprunter? ». Comment je fais avec mon film en version dématérialisée? Je fais nettement moins le malin. Merci pour l’aspect social. Bref, là aussi, j’ai un peu de peine avec la dématérialisation des contenus. Et pourtant je ne sais plus où ranger mes films et mes séries, un peu de place me ferait du bien.

Les livres maintenant. Là aussi c’est fou la place que ça prend. Et le ebook, franchement c’est la classe. Je suis assez content de pouvoir trimballer dans mon smartphone quelques dizaines de bouquins que j’ai ainsi toujours sur moi. Franchement je suis parfaitement convaincu au niveau de l’utilisation. Restent quelques problèmes. Encore et toujours le sempiternel « Tiens je te prêtes ce bouquin tu vas adorer » impossible à résoudre pour garder la convivialité du truc. Et puis il y a encore et toujours ces DRM limitant complètement la lecture et bridant la liberté de l’acheteur. Autre souci? Le prix. A l’heure actuelle, il y a encore trop d’éditeurs qui adaptent le prix de leurs ebooks à celui de la version papier, alors que les frais sont nettement moindres (impression, distribution,…). Difficile de s’adapter aux nouvelles technologies pour des sociétés habituées aux réseaux traditionnels. Et il y a toujours cet amour de l’objet, mais sur lequel j’émettrais une réserve… Réserve que Munin a bien expliqué sur son blog, à savoir qu’il y a quand même quantité de livres moches que je ne vais pas relire et qui encombrent mes étagères, alors que j’ai aussi de bien jolis bouquins grand format et de grande qualité éditoriale. Finalement sa conclusion d’avoir en dur et en beau les livres biens, à relire et /ou conseiller, et en numérique les bouquins de lecture rapide et souvent unique, ben ça me titille pas mal. Et sur le même blog, les trois bonnes raisons pour ne pas acheter une liseuse, qui illustre aussi bien mon propos.

Au final, bien que geek assumé, connecté en quasi-permanence, au fait des nouvelles technologies et les utilisant très couramment, et bien je ne peux me résoudre au totalement dématérialisé pour le contenu culturel. Il y a ce je ne sais quoi de bon à posséder l’objet. Certes c’est surtout l’usage qui en importe (l’exemple de mes CDs en est la preuve, j’en utilise le contenu sans vraiment utiliser le disque en lui-même). Et pourtant… moins de déchets, de plastique, de matériaux, moins de consommation dans la production, moins d’espace utilisé… Ma fibre verte me fait dire que le dématérialisé a du bon. Certes. Pas fini de me poser des questions à ce sujet…

 

Référence photo : Color Spectrum CD Reflection, par Todd Binger (CC, Flickr). Cirect TV HD VOD Working, par Aaron (CC, Flickr). e-books EPUB, par C. Eslava (CC, Flickr).

 

 

 

 

8 réflexions sur « Entre amour de l’objet et dématérialisation des contenus, mon coeur balance »

  1. Il me semble que tu oublies quand-même un aspect important dans ta réflexion :

    Acheter des « objets », c’est aussi faire vivre les gens qui les vendent. Et aller (plus ou moins) régulièrement chez son (dealer) fournisseur, c’est aussi l’assurance de pouvoir non-seulement rendre la marchandise en cas de pépins (en tout cas plus simplement que pour une version digitale), mais aussi et surtout d’avoir des conseils avant l’achat.

    Oui, c’est plus contraignant parce qu’il faut se déplacer, souvent plus cher (encore que, suivant ce que tu achète et où c’est même pas forcément vrai), mais c’est un service que je paie avec plaisir.

    Bien sûr, ça prends du temps de nouer les contacts, d’écrémer les bons des mauvais magasins, mais c’est du temps que tu gagnes quand tu es perdu ou que t’as un problème.

    Au rythme où on va, je me demande si acheter dans un « petit » magasin deviens presque un acte militant…

  2. C’est vrai que je l’ai pas abordé mais c’est un élément qui me plait aussi. Typiquement aller chez le disquaire qui me connaît et qui va me présenter des trucs que je ne connais pas mais qu’il sait que je vais aimer… Ou alors passer des heures à causer des jeux dans la boutique spécialisée (en occurrence dans ce domaine les versions dématérialisées sont rares et moins conviviales) . J’adore les magasins spécialisés avec des gens passionnés.
    Mais je me ferai l’avocat du diable en disant que l’achat dématérialisé peut aussi être du militantisme : militantisme écologique, contre un trop plein de consommation et d’emballage…

    Comme quoi la question n’est pas prête d’être réglée et je pense que je suis pas prêt de choisir une voie plutôt que l’autre.

  3. je ne suis pas non plus que la dématérialisation soit réellement plus écolo que les versions matérielles :

    entre la valse des formats, l’obsolescence programmée des supports, l’énergie pour faire tourner les appareils et les serveurs qui les alimentent, ça me parait (à la louche) moyen. Leur fabrication n’est pas des plus propres, consomme une quantité de ressources non-renouvelables qui ferait se prendre le premier glouton affamé venu pour un ascète anorexique et dont la production est une succession de catastrophes écologiques. Sans compter lesdits emballages qui entourent nos biens-aimés gadgets.

    En comparaison, un livre (oui, je triche, je prends le moins méchant du tas) consomme de l’eau, de l’électricité à la production, des hydrocarbures à la distribution, mais est quand-même fait à 90% de matières renouvelables. Et uns fois sa vie terminée, il est recyclable, ou bien conservé, se gardera des années et sera toujours utilisable des dizaines d’années plus tard (voire des siècles).

    Est-tu sûr de pouvoir relire un dans 10 / 20 / 30 ans ? après combien de crashes de disques ? Combien de transferts de DDs ? Combien de temps passé à faire des back-ups, bref ENTRETENIR ces médias ?

    Pour ces raisons, celles que j’ai exposé plus haut, et celles que t’as mentionné toi, franchement, je ne vois pas quel avantage à la dématerialisation. Enfin si, j’en vois deux : la possibilité de n’acheter que le morceau qui nous intéresse, et l’immédiateté de la consommation; – ce qui, avouons-le, est assez comique, si le but est d’éviter la surconsommation…

    Non, il n’y à rien à faire, la dématerialisation et moi, c’est pas pour toute suite. J’ai trop de plaisir à écouter un disque avant de l’acheter, tenir sa pochette entre mes mains, choisir lequel je vais mettre sur la platine, sentir l’encre fraîche ou au contraire le papier poussiéreux, sentir le poids des mots (oui, deux livres ne pèseront pas forcément la même chose), etc…

    dématérialiser, c’est aseptiser.

  4. Une très bonne raison d’acheter des CD pour moi : c’est que je ne les trouve ou trouverai jamais sur un magasin en ligne (choeurs suisses de qualité ou artistes peu connus par exemple). Je suis pas très preneuse des tubes du moment ! Pour les bouquins, c’est trop cher aujourd’hui à mon goût. Et comme il n’y a plus beaucoup de petits libraires sympa je dois avouer qu’A…N est devenu un grand copain. J’achète aussi – souvent d’action ou occase – les séries que j’aime bien. Mais surtout, oh luxe, j’ai encore de la place pour une ou deux bibliothèques supplémentaires 🙂

  5. « Mais surtout, oh luxe, j’ai encore de la place pour une ou deux bibliothèques supplémentaires »
    Rhooo, trop de chance!

  6. C’est la limite de la propriété : il n’y a pas de vrai solution. Matériel, tu épuises les ressources. Dématérialisé, tu en épuises d’autres. A mon sens, dans une logique écologique, il vaudrait mieux une propriété partagée ou mutualisée : emprunter à la bibliothèque, ou une ludothèque, ou une dvdthèque etc permet de limiter le nombre de produits finis créés et donc de limiter les ressources engagées pour les produire. Au lieu de prêter l’objet, tu pourrais indiquer la référence, et la personne pourrait l’emprunter. Non ?
    Donc pour moi la question n’est pas tant le format de possession (réel ou virtuel) que la nécessité de posséder.

  7. Pas nécessité, non. Envie plutôt.
    Bien sûr on se pose à l’heure actuelle beaucoup de questions entre l’usage et la possession ; typiquement avec toutes les questions de carsharing… Mais bon c’est aussi ça d’être un geek compulsif qui aime montrer ses collecs…

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