Qui paye l’élimination des déchets?

Cet été, un arrêt du Tribunal Fédéral a permis de mettre un terme à une question lancinante depuis un bon moment : comment gérer le financement de l’élimination des déchets en respectant le principe constitutionnel du pollueur-payeur? En résumé, l’arrêt découle d’une longue histoire dans la commune de Romanel ; en 2009, celle-ci avait mis en place un règlement communal permettant de ponctionner une taxe forfaitaire sur la population pour financer l’élimination des déchets. Une habitante de la commune a fait appel contre ce règlement, contraire à la loi fédérale sur la protection de l’environnement. Puis recours de la commune, et quelques échanges avant de voir tomber cet arrêt stipulant que la taxe forfaitaire n’est pas légalement acceptable. On respire. Pourquoi? Parce qu’on voit là arriver la conclusion d’un serpent de mer qui envenime la vie des communes et les relations entre elles depuis des années. En effet, certaines d’entre elles ont depuis un moment mis en place une taxe au sac. Avec tous les désagréments envisageables, comme le tourisme des déchets évidemment. Il fallait que la situation soit traitée de manière plus globale. Cantonale? Le Canton n’avait visiblement pas trop envie de se mouiller dans l’affaire au risque de se mettre à dos des autorités communales. Il aura fallu attendre cet arrêt du TF pour enfin voir imposer la taxe proportionnelle ; l’impôt ne peut plus couvrir qu’au maximum 30% des frais d’élimination des déchets. Une victoire du principe du pollueur-payeur. Quelles conséquences maintenant? Et bien le Canton va légiférer sur le sujet pour établir un règlement. Mais les communes sont expressément invitées, si ce n’est déjà fait, à introduire un système au plus vite, qui s’inscrirait dans le cadre de l’arrêt du TF.

La taxe proportionnelle

L’arrêt du TF demande donc qu’au moins 70% du financement de l’élimination des déchets provienne d’une taxe non pas forfaitaire mais proportionnelle. Qu’est-ce que cela signifie? Que l’essentiel de ces frais doit être payé en fonction de la masse de déchets en question. la taxe forfaitaire donne le même montant à tout foyer ayant la même composition, quelle que soit la quantité de déchets à éliminer. D’une part, cela contrevient au principe dorénavant bien ancré du pollueur-payeur puisque chacun paye la même chose, qu’il pollue beaucoup ou pas. D’autre part, on jette ainsi allègrement par dessus bord le principe de proportionnalité. La taxe proportionnelle fait payer à chacun en fonction de la quantité de déchets, poussant ainsi à une attention certaine et à une consommation réfléchie.

Taxe au sac ou au poids?

Deux modèles principaux sont envisagés dans le cadre de la taxe proportionnelle : au sac ou au poids.

Le plus courant et le plus connu est celui de la taxe au sac. Les habitants achètent donc des sacs particuliers pour les déchets incinérables, à un prix comprenant le montant de la fameuse taxe. Seuls ces sacs sont alors ramassés pour l’élimination. En cas d’abus, il est tout à fait envisageable d’ouvrir les sacs afin de déterminer l’identité des contrevenants. Reste que, dans les communes où cette taxe est mise en place, les sacs poubelles classiques ne sont plus disponibles à la vente. Ce modèle permet donc de taxer le volume d’ordures incinérables et donc de faire payer les gens en fonction de ce qu’ils jettent. Il est relativement simple à mettre en place et déjà connu de nombreuses communes en Suisse.

La taxe au poids est un modèle plus précis et plus juste encore. On ne taxe ainsi pas le volume mais le poids des ordures. Tout le monde ne dispose pas d’un compacteur pour faire prendre le moins de place possible à ses déchets, et donc un sac du modèle ci-dessus peut se voir rempli de récipients vides ou autres objets prenant de la place pour rien. Dans le cadre de la taxe au poids, chacun va déposer ses sacs dans un container de quartier qui s’ouvre au moyen en général d’une carte magnétique identifiant la personne. Le container pèse le sac et un décompte est ainsi fait pour chaque foyer de la quantité d’ordures déposées. Ce système a cependant un gros problème : la complexité et le financement de sa mise en œuvre, car il nécessite des containers particuliers et un système qui change beaucoup les habitudes des habitants.

De fait, la taxe au sac s’impose dans la plupart des cas et c’est probablement le modèle qui sera retenu au niveau cantonal.

Mesures d’accompagnement

Une telle taxe proportionnelle, quel que soit le modèle retenu, ne peut être appliquée sans mettre en place des mesures d’accompagnement qui sont de deux types : sociales et de tri.

La taxe au sac est une des plus grosses pierres d’achoppement entre le PS et les Verts. Là où les Verts la trouvent essentielle pour diminuer les déchets incinérables, le PS la trouve anti-sociale. Et oui, cette taxe doit être entourée de mesures d’accompagnement sociales, sans quoi son application serait dommageable à certaines classes de la population. Il faut donc envisager une aide à certains foyers qui ont, pour de « bonnes raisons », une production de déchets plus importante. je pense en particulier aux familles avec enfants en bas âge (couches), aux foyers avec personnes atteintes d’incontinence, aux personnes nécessitant des soins à domiciles (avec les déchets qui en découlent). Il y a peut-être des couches sociales auxquelles je n’ai pas pensé, mais là on a déjà une bonne base. Comment les aider? Par exemple en offrant un certain nombre de sacs par mois en fonction du type de foyer (nombre d’enfants, etc). Une fois ces mesures établies, la taxe perd son aspect anti-social.

La taxe proportionnelle pousse à limiter au maximum la quantité de déchets incinérables. mais cela signifie que les habitants doivent avoir accès à des possibilités conséquentes de tri des déchets. La plupart des communes disposent déjà du tri du papier/carton, du verre, de l’alu, ou encore des déchets biologiques. Les magasins reprennent le matériel électronique, le PET ou les piles pour le recyclage. Mais ce qu’il faut, c’est que les gens aient à portée de main des postes de tri pour papier-alu-verre-biodégradable au mois. S’ils doivent faire un trajet trop long pour déposer leurs déchets triés, les gens ne seront pas satisfaits. Ils prendront la voiture pour ce faire et l’aspect écologique du tri sera largement amoindri par cette voie. Les communes vont donc devoir avoir des points de tri et de collecte, au pied des immeubles ou dans les quartiers de villas. Certaines jouent déjà le jeu, tant mieux pour elles.

Une fois tout cela mis en place, une taxe proportionnelle peut être appliquée sans soucis.

Un droit de polluer?

Le dernier point que je voulais aborder est celui du principe même de pollueur-payeur. Il n’est pas mauvais, c’est même probablement la moins mauvaise idée que l’on ait eue. Il garde cependant un biais non négligeable car il constitue une sorte de droit aux plus riches de polluer à leur guise. Finalement, tant qu’on a les moyens et que cela n’empiète pas sur les frais courants, on a là une sorte de blanc-seing aux personnes qui le peuvent de polluer comme elles le souhaitent puisqu’elles peuvent payer. Et je suis certain que nombre d’entre elles ne se sentent pas responsabilisées au travers du principe du pollueur-payeur. Et ce dans un cadre plus large que la gestion des déchets. Si on prend par exemple les bourses d’émission de CO2 accordées aux entreprises, et bien on a aussi une situation où les plus grosses peuvent amasser les droits à émettre, et même spéculer sur la valeur de ces droits au détriment des plus petits. Le but du pollueur-payeur est bien de responsabiliser les gens et les entreprises, mais l’effet ne me semble pas partout efficace puisque l’on peut en profiter. Alors je ne dis pas qu’il ne faut pas de ce système ; simplement qu’il faut continuer à réfléchir et voir si l’on trouve une meilleure option. On ne peut pas avoir de vision à court terme en se disant que c’est pas grave si on pollue, de toute manière on ne sera plus là quand la Terre sera submergée de pollution.

 

Crédit photos : Déchets à recycler (emballages), par cap21photo (sur Flickr). Cartons, papiers, plastiques, par Collinox (sur Flickr). SDC11764, par julia_jum (sur Flickr).

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