Le web et l’enseignement

Suite à deux activités récentes, je me pose encore plus qu’avant la question de la place du web dans l’enseignement. A l’heure d’internet et de l’accès permanent à l’information, doit-on encore enseigner comme avant? Quels éléments sont à prioriser? Comment former au net aussi? Tout d’abord, je dirais que pour moi, le but principal de la formation et de l’enseignement, avant l’acquisition de connaissances générales, c’est l’acquisition d’un esprit critique, d’un sens de la réflexion. Comme disait l’autre, selon les grands clichés, »mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine ».

A une époque, le prof était réellement la référence, que l’on en remettait pas en question. Erreur, bien évidemment. Aujourd’hui, le web a pris cette place prépondérante. Quand on se sait pas quelque chose, on googlise le truc et on découvre. Or on s’aperçoit bien souvent que nombre de personnes, dont des jeunes en formation, prennent tout ce qu’il trouve comme argent comptant. Comme à l’époque on prenait pour parole d’évangile tous les mots de l’enseignant. Il est pourtant facile de trouver tout et son contraire sur le net. Et dès lors il est nécessaire d’apprendre à surfer, de savoir décortiquer les informations et les articles découverts au fil des pages et des clics. Il est prioritaire de classifier les données selon leur provenance, par exemple ne ne mettant pas sur un pied d’égalité le site de l’Institut universitaire spécialisé en astronomie et celui de M. Tartempion qui passe ses soirées devant son télescope sur son balcon. Sans même parler de rabâcher que l’on ne peut reprendre un texte tel quel du web sans citer son auteur, tout comme on ne peut le faire d’un ouvrage physique ; la facilité du copier-coller rendant d’autant plus grande la tentation du plagiat. Comme il a toujours fallu apprendre à apprendre, il faut aujourd’hui intégrer ces notions découlant du web dans l’acte d’apprentissage. Un enseignant actuel ne peut ignorer cet aspect.

Et c’est là que j’arrive au premier événement qui m’a fait réagir récemment. Celui du prof qui a pourri le web. En gros, comme il en avait marre de voir ses élèves se baser sur des sites sans esprit critique, de les découvrir usant et abusant de sites remplis de travaux pré-rédigés, de relire du wikipédia à chaque exercice, il a pris le temps de saloper le web. Il a repris l’article de wikipedia concernant un obscur poème qu’il allait étudier en classe, il a ré-écrit quelques pages sur l’auteur, a fourni à des sites de corrigés d’exercices des textes contenant des erreurs, et a préparé un jeu de piste traître. Puis il a fait travailler ses élèves sur le texte. Et ceux-ci ont fait leurs recherches en tombant dans le panneau, sans remettre en question des assertions pourtant contradictoires ou totalement improbables. Citons ce passage du billet de l’enseignant en question (lien plus haut) :

« Sur 65 élèves de Première, 51 élèves – soit plus des trois-quart – ont recopié à des degrés divers ce qu’ils trouvaient sur internet, sans recouper ou vérifier les informations ou réfléchir un tant soit peu aux éléments d’analyses trouvés, croyaient-ils, au hasard du net. Je rappelle qu’ils n’avaient pour cet exercice aucune recherche à faire : le commentaire composé est un exercice de réflexion personnelle. »

Eh oui, le voilà confronté à ce que je signalais plus haut. Il a pu mettre ses élèves face à leurs problèmes. En espérant que cela les aura fait un tout petit peu réfléchir. Je trouve l’exercice fort intéressant et le petit billet de cet enseignant devrait être présenté à tous les élèves, histoire de leur rappeler 2-3 fondamentaux. Il y a par contre un élément du billet qui me désole, dans sa conclusion :

« Pour ma part je ne crois pas du tout à une moralisation possible du numérique à l’école. »

Je trouve dommage que cet enseignant préfère laisser tomber. Au contraire, à mon avis, les outils des NTIC doivent être davantage intégrés dans le cursus de formation, afin que les élèves prennent pleine conscience des possibilités énormes offertes, mais aussi et surtout des limites et des pièges qu’elles amènent dans leur sillage.

Et puis, malgré le côté formateur et intéressant de l’expérience, il y a un aspect que je ne peux cautionner. Un point que l’on retrouve chez cet élève qui a salopé un article wikipédia après l’avoir copié-collé, ceci afin que sa prof ne se rende pas compte du plagiat. Malin, à première vue. Et bien évidemment, à mettre en lien avec l’expérience de l’enseignant ci-dessus. A partir du moment où on ne retrouve pas la trace des sources, où est le plagiat? L’élève a été rattrapé par un modérateur de Wikipédia (et là, je dis bravo car visiblement l’encyclopédie en ligne utilise quand même un système de contrôle pas complètement à côté de la plaque). Et il a été mis devant le fait accompli : son acte peut avoir des conséquences vastes. Si je sabote une page en y incorporant volontairement des informations fausses, je peux laisser d’autres personnes accéder à ces erreurs, et les utiliser tout en leur faisant confiance. L’expérience décrite ci-dessus par l’enseignant avec son poème ne risquait-elle pas de générer les mêmes problèmes? Bien entendu, Wikipédia n’a pas valeur de vérité absolue. Mais si l’auteur est une référence, on peut l’utiliser comme une base solide. Et en cas de modification volontairement erronée de la page, que deviennent les autres personnes y cherchant des références? On ne peut pas s’amuser ainsi avec la connaissance. Et pourtant une encyclopédie comme Wikipédia est par définition ouverte à ces jeux. Sauf erreur, les pages sur l’avortement ou sur l’origine de la vie sont parmi les plus souvent modifiées, étant sujettes à de grosses querelles idéologiques de la part des contributeurs. Quid dès lors de la réalité?

Il y a ici un petit article intéressant posant la question de Wikipédia et de l’esprit critique, article qui a le mérite de signaler un peu les éléments de décodage d’une page de l’encyclopédie en ligne. Et de rappeler que les élèves ne sont pas les seuls plagieurs qui vont pêcher dans l’océan du web des éléments repris à leur propre compte. La conclusion de cet article revient peu ou prou à ma conception de l’enseignement comme je le disais plus haut :

« Je dois dire que l’enseignement de Loys Bonot [Note : l’enseignant ayant « pourri le web »] échappe dans une certaine mesure à ce travers. Son expérience pédagogique a un mérite certain : elle incite ses élèves à s’interroger sur l’élaboration du savoir. Qu’est-ce qu’une recherche ? Comment croiser et agencer les sources disponibles ? A quelles conditions pouvons-nous dégager une « vérité scientifique » ?

Dès lors qu’une somme colossale de savoir se trouve immédiatement disponible sur Internet, le rôle de l’école devra sans doute être repensé. Il ne s’agit plus seulement de transmettre des faits et des connaissances bruts. Il importe également de définir des règles et des cadres méthodologiques : l’établissement d’une bibliographie, l’usage des références, l’évaluation des sources… Toute sorte de choses que j’ai appris en tant que wikipédien, mais jamais en tant qu’élève. »

 

Crédit photo : Wikipedia globe in a keychain! par @bastique sur Flickr en licence CC

3 réflexions sur « Le web et l’enseignement »

  1. Je ne crois pas que pour ce qui est de l’esprit critique internet change réellement quelque chose. L’esprit critique doit s’acquérir indépendamment d’internet. Car sinon, on arrive à des aberrations.
    De nos jours, à l’université, les étudiants prennent pour argent comptant tout ce qui était écrit dans les livres, et répètent à l’envi que internet c’est plein de conneries. Or on trouve de très bonnes choses sur internet, et d’énormes âneries dans certains livres. La question internet/esprit critique n’est pas la bonne. Elle devrait être reformulé en affirmations/esprit critique.

  2. Clairement oui, l’esprit critique a toujours été nécessaire. C’est juste qu’avec la facilité d’accès à l’information quasi-permanente et la multiplication des sources d’informations, Internet rend cela encore plus important.
    On notera au passage que cet esprit critique doit s’acquérir, et s’appliquer, pas seulement aux élèves en formation, mais chez tout le monde. Combien d’adultes avec une certaine expérience de la vie et tout n’ont absolument pas ces réflexions…!

  3. Je trouve l’expérience de l’enseignant tout à fait intéressante. Elle ne stigmatise pas forcément l’internet mais fait prendre conscience aux étudiants qu’il est indispensable de cultiver un certain esprit critique, que le support soit numérique ou papier.

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