Les Ombres d’Esteren – Univers

Attention, billet ultra-copinage et pas du tout objectif, mais alors pas de chez pas. Vous voilà prévenu. Parce que oui, j’ai terminé la lecture du livre 1 des Ombres d’Esteren, sobrement intitulé Univers.

Si vous avez un tout petit peu suivi ce blog, vous devez savoir pourquoi c’est pas du tout objectif. Esteren c’est un peu un de mes bébés, de la conception à pas très loin de la naissance, même si j’ai laissé tomber pour la fin de la gestation, l’accouchement et l’éducation après. Mais ça reste fortement ancré en moi et c’est non sans émotion que j’ai vu arriver sur les étals ce bouquin attendu de longue date. Ouais, « attendu de longue date ». Parce que bon on a lancé le projet à la création de ForgeSonges, à savoir printemps-été 2006. A quatre à l’époque, les fondateurs de l’assoc. C’était notre premier projet, celui qui nous a cimenté. Et qui a attiré à nous les divers talents que nous sommes vraiment super fiers d’avoir pu recruter. Et puis on était même tellement fiers qu’on a très (trop?) tôt lancé la comm’ avec diffusion de nouvelles d’ambiances et d’illus qui tuent. Du coup, les diverses pérégrinations sur le chemin semé d’embûches de l’édition, les changements de ligne éditoriale et d’équipe, les aléas de la vie, ont retardé un projet qui avançait au rythme que l’on pouvait attendre d’une création d’amateurs qui font ça sur leur temps libre. Y’a eu pas mal de doutes et d’interrogations dans la communauté rôliste, mais voilà, les Ombres d’Esteren sont là et bien là. Et franchement c’est assez une tuerie (je vous ai dit que ce billet était pas objectif?).

Bon ben voilà pour l’entrée en matière et rentrons dans le détail pour justifier un peu plus ce terme de « tuerie » que par le simple copinage…

Première étape, la prise en main et l’ouverture. Waow, un joli pavé A4 à la couverture dure joliment illustrée tout en restant sobre et qui pose déjà de suite une bonne ambiance. Et à l’ouverture ben c’est assez la claque. 290 pages tout en couleur, oui tout en quadri. Ca a vraiment de la gueule. Le texte est aéré, agréablement mis en page. On voit très vite que les illustrations ont une place importante dans le livre. Des tas de magnifiques illustrations en couleurs (disons que celles du chapitre de règles ont plus l’air d’illus noir/blanc updatées en couleur) parsèment l’ouvrage, presque sur chaque double page. Pour la forme, signalons que les illustrateurs ont très tôt rejoint le projet, dès la publication des premières nouvelles d’ambiance, alors que nous n’avions encore pas tout posé de l’univers ; de fait, leur travail a tout autant apporté à la conception du monde et de l’ambiance que celui des auteurs. C’est un processus que l’on n’a pas sur tous les produits, où en général les illus sont commandées une fois les textes finis. Ici les illus sont tout aussi importantes que les textes pour s’immiscer dans l’univers. Et c’est une franche réussite, elles sont toujours très à propos et permettent de se représenter pas mal de choses. La maquette est très agréable, comme je l’ai dit, toute en couleur aussi, offrant une belle lisibilité, avec des encadrés et culs de lampe qui organisent très bien le tout. On notera que les textes se finissent en général en fin de chaque double page, ce qui permet de se concentrer un moment sur les encadrés et les illustrations avant de passer à la suite, et ce sans couper une phrase en son milieu, ni même un paragraphe. Pour en finir avec la forme, signalons quand même qu’il y a très peu de coquilles ; bravo pour les relectures.

Mais c’est pas tout ça, un jeu c’est quand même surtout un contenu, et là on entame très fort avec une grosse partie de background.  L’univers est présenté au travers du regard d’habitants de la péninsule de Tri-Kazel (là où le jeu prend place). Rapports, lettres, échanges, discussions, présentations, missives, tout y est pour donner l’illusion d’être plongé dedans. A la lecture de cela, on a vraiment saisi la vie des habitants du coin. Mode de vie, fêtes, nourriture, traditions, conflits, peurs, joies, calendrier, artisanat, etc. Tout est abordé pour nous rendre un monde dense, solide et crédible. Tout se tient. Les différentes factions sont passées au crible, sans qu’il n’y ait de réel parti pris, chacune ayant ses points positifs et négatifs. Pas de manichéisme ici, mais des points de vue qui s’opposent. Bien sûr, la tradition de la péninsule tient le haut du pavé, mais c’est plus dû à son ancienneté et le nombre de gens qui y sont attachés qu’à sa valeur réelle.

Le jeu prend donc place sur la péninsule de Tri-Kazel, coupée du reste du monde par des océans sauvages et une chaîne de montagnes quasi infranchissable (au-delà de laquelle s’étend le mythique et mystérieux Continent). Sur cette terre pas toujours facile et très montagneuse vivent des gens rudes et âpres. Petits villages, communautés reculées, quelques grandes villes. Leurs traditions s’apparentent à un mélange de druidisme/shamanisme, avec une nature à respecter, toute puissante, dont les émanations spirituelles peuvent être plus ou moins contrôlées par des sages (les démorthèns) pouvantt ainsi pratiquer une forme de magie. Le Temple, venu du Continent, tente d’imposer sa vision ascétique et carrée d’une société, suivant ainsi les directives de son Dieu Unique. De son côté, la magience est une pratique importée également du Continent qui cherche à dominer la nature via l’utilisation d’une technologie de pointe. Bien entendu, chacune de ces trois manière de voir le monde cherche à s’imposer et à diminuer les autres. Sur la péninsule, on a aussi trois royaumes, fondés il y a bien longtemps par trois frères, et qui sont passés par une histoire jalonnée de conflits et d’alliances qui ont fini par façonner un paysage politique relativement tendu.

Au final, le jeu propose donc diverses factions et groupes d’intérêts, diverses manières de voir le monde, pas toujours compatibles entre elles. On tient là matière à de nombreux scénarios, les tensions pouvant être multiples. Mais ça ne suffit pas au jeu. L’Humanité est en effet sous la menace perpétuelle des feondas, ces  terribles créatures sortant des profondeurs des forêts et des grottes pour s’en prendre sauvagement à toute personne passant dans le coin. Une menace sourde, permanente, rendant toute sortie de village dangereuse et qui a façonné le mode de vie local (sortir groupés, service d’ost obligatoire pour tout le monde, etc.).

Et puis il y a les mystères. Pas mal de choses restent inexpliquées, dans le flou, sujettes à controverse et aux rumeurs les plus diverses.

Le livre se complète ensuite par un système de règles sympathiques, posé sur une base simple mais qui peut s’avérer relativement complexe, en particulier pour une bonne gestion de la santé mentale. Toute action repose sur le jet d’1D10 auquel on ajoute une Compétence (ce que sait faire le Personnage) et une Voie (manière dont le Personnage voit le monde et dont il interagit avec lui) ; ce résultat est comparé à un seuil de difficulté, et plus c’est haut, mieux c’est. Sur cette base simple s’ajoutent de nombreuses subtilités. Les Compétences sont peu nombreuses et assez larges à bas niveau mais demandent de se spécialiser pour progresser à partir d’un certain stade. Le combat s’avère tactique avec la prise en compte de diverses attitudes, selon que l’on est plutôt offensif ou défensif, etc. Puisque l’on est dans un monde où les monstruosités sont monnaie courante, un solide système de santé mentale est présenté, permettant de gérer efficacement et de manière crédible les désordres mentaux selon la psychologie du Personnage. Les voies sont aussi fort sympathiques, représentant la manière de voir le monde et la personnalité ; un score élevé permet de mieux réussir ses actions, mais peut aussi se retourner contre le Personnage. Un système de magie agréable, permettant de gérer les démorthèns et les adeptes du Temple, avec aussi un système pour les artefacts de la magience. Bref, on a là tout ce qu’il faut pour se lancer dans l’aventure.

Tout? Pas tout-à-fait de mon point de vue, et c’est là le petit bémol que j’émettrais. Ce livre 1 est présenté comme un livre pour tous les joueurs d’Esteren, où chacun peut tout consulter. Mais tout est fait au long de l’ouvrage pour nous annoncer qu’il y a des secrets (et vu mon rôle dans le projet, je peux vous assurer qu’il y a du très bon et du très lourd dans ces secrets). Mais de fait ils ne sont jamais indiqués, car seul le Meneur a à les connaître. Choix éditorial qui se tient certes, mais de mon point de vue peu pratique. Parce que le Meneur qui veut entraîner ses joueurs sur les chemins de Tri-Kazel, il va bien devoir construire des scenarios et justifier ce qu’il s’y passe. Sans connaître les rouages secrets guidant l’univers, il risque de tomber à côté. Et donc de se retrouver en contradiction avec les vrais secrets du jeu. L’équipe du jeu annonce certes un supplément Secrets très attendu, mais dont la date de sortie reste floue. C’est bien dommage, car je pense que ces secrets sont une part importante de ce qui fait la spécificité d’Esteren. Certes, les auteurs veulent proposer le meilleur bouquin possible, aussi bien au niveau de la forme que du fond, et je suis bien placé pour savoir que cela prend du temps. Mais reste que la présentation, même basique, de certains secrets, ou au moins de certains angles d’attaque, aurait été un plus dans ce premier livre, ne serait-ce que pour dire au Meneur sur quels points il peut faire ce qu’il veut s’il tient à rester canon avec la ligne éditoriale à venir. Et puis d’ailleurs, tant que je parle de Meneur construisant ses scenarios, je signale que ce livre n’en a pas, toujours dans l’optique d’un livre consultable par tous les joueurs (mais qui va empêcher un joueur de feuilleter le livre des secrets aussi?) ; c’est dommage, car je trouve que un ou deux scenarios dans un livre de base permettent de jouer plus rapidement, de s’imprégner de l’univers, de voir un peu le type d’expérience ludique proposée par le jeu en question.

Mais bon, ce petit bémol ne doit pas faire oublier la qualité de l’ensemble. On a un monde solide et crédible. Et rajouter les éléments dont je parle se serait fait au détriment de certains chapitres du livre. Ce qui aurait été une perte car tous apportent quelque chose. D’ailleurs la plupart des pages offrent des pistes pour de possibles scenarios à construire. Le monde est là, à portée de main, pour y vivre de grandes aventures. Et tant que l’on n’aborde pas de possibles secrets, on a tout ce qu’il faut sous le coude pour de nombreuses heures de jeu.

Bon, je note quand même qu’Esteren n’est pas trop un jeu destiné à des débutants (du moins pas pour un Meneur débutant), il me semble. Le monde est complexe, et le livre regorge de nombreux termes créés pour l’occasion, c’est assez lourd. Certes, un index bien foutu en fin d’ouvrage permet de s’en sortir, mais il faudra quand même ingurgiter et digérer tout cela. Cela prendra un peu de temps à mon avis. De même, bien que le système de base soit simple, ses spécificités type système de santé mentale ne sont pas destinées au premier venu (d’ailleurs c’est même dit qu’il est déconseillé de l’utiliser si on est débutant). Le thème du jeu aussi, cet horrifique, cette menace permanente, ces aspects parfois gore, tout cela le destin à un public averti quand même. Et puis finalement, l’absence de scenario, qui nécessite donc pour le Meneur d’écrire le sien, tâche pas évidente pour un débutant.

En tout cas, Esteren est un jeu qui a du potentiel. Quand je repense à mes premières parties et playtests, aux démos effectuées, le jeu accrochait toujours très bien. Je me souviens encore de cette partie où j’avais bien fait sursauter toute la table vraiment prise dans l’ambiance. Alors oui c’est du copinage et je suis un peu (pas tout seul) à l’origine du jeu, j’ai aidé à en poser les bases. je vais donc pas le couler en flèche. Normal que j’aime, même. Billet pas objectif je l’ai dit.

Encore un mot sur la gamme et l’avenir du jeu. le jeu s’est toujours voulu très ouvert, avec une gamme en prévision et un aspect cross-media. A l’heure où j’écris ces lignes, le premier supplément, Voyages, est sorti. je n’ai pas encore mis la main dessus, mais on y trouve un magnifique écran et une carte au format A2 de la péninsule. Un livret aussi qui contient entre autres des petits canevas sur lesquels broder des scenarios, comblant ainsi plus ou moins un manque du livre 1. Le jeu arrive aussi sous très peu de temps dans vos oreilles avec un CD de morceaux composés spécialement pour mettre de l’ambiance à vos parties. La suite de la gamme comprend le fameux tant attendu livre sur les secrets et au moins une grosse campagne, mais aussi un jeu video point and click, et pas mal d’autres petits trucs dont les talents de l’équipe sauront nous faire part.

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