Voilà, c’est fait, la population suisse s’est massivement prononcée en faveur du durcissement de la loi sur l’asile et des mesures urgentes qui le mettent en œuvre. Le Parlement s’était prononcé pour ces mesures urgentes, et un référendum avait suivi pour s’y opposer. Seule une minorité d’organisations ont lancé le référendum, mais quand il a abouti, il a été soutenu un peu plus largement. Ce qui n’a pas suffit à faire pencher la balance des votants vers l’humanisme et le respect des autres. Une participation en berne à 39%, et c’est pratiquement 80% de ces votants qui ont accepté le durcissement en question. Belle déception pour le pays de la Croix Rouge, de l’ONU, pour la Suisse et sa tradition d’accueil, la Suisse multiple qui est elle-même un exemple d’assemblage hétéroclite et qui donc devrait comprendre mieux que tout autre le rôle de ces mouvements de population. L’humanitaire a subi une lourde défaite.
A noter que l’argument massue martelé sans cesse par les défenseurs de la révision (et la ministre prétendument socialiste en charge du dossier) est bon : accélérer les procédures. On éviterait ainsi des attentes anxiogènes pour les demandeurs, des situations de doute qui perdurent, l’engorgement des centres de requérants, des frais à rallonge pour les caisses publiques, des situations dramatiques ne laissant entrevoir aucun avenir. Bref, le raccourcissement des procédures en soi n’est pas mauvais. Je suis nettement plus dubitatif sur l’application de cette accélération des procédures et je me demande bien comment l’administration fédérale va s’y atteler pour trouver une solution juste et humaine.
Par contre, de nombreux éléments contenus dans cette révision la rendent inacceptable et scandaleuse. Il sera dorénavant impossible de déposer des demandes dans les ambassades. OK, je note. On verra donc augmenter les réseaux de passeurs fraudeurs aux pratiques criminelles, avec leur cortège de décès et d’arnaques énormes. Les gens feront tout pour atteindre le pays et ensuite y demander l’asile. Ce point, comme les autres, ne diminue en rien l’attractivité de notre pays pour des personnes vivant dans les terribles situations de pays en guerre ou soumis à des dictatures meurtrières. La Suisse restera une destination de rêve, les demandeurs d’asile continueront à affluer, on leur bloque simplement une voie humaine et respectueuse pour faire leur demande.
La désertion et le refus de servir ne seront plus des arguments pris en compte pour une demande d’asile. Quand on voit le fonctionnement de certains pays et leur attitude vis-à-vis des déserteurs, il s’agit bien là d’une forme de non-assistance à personnes en danger. Des gens risquent leur peau en refusant de servir par les armes des régimes autoritaires et criminels, il ne serait donc que juste de leur accorder l’asile. Parce que dire dans les médias que ces régimes ne sont pas très gentils, c’est une chose, mais agir pour soutenir les dissidents, c’en est une autre.
Et puis parlons encore de ces centres pour requérants récalcitrants. On va donc décider qu’un tel est récalcitrant (ah la beauté des critères permettant de statuer) et le placer dans un centre fermé, un bâtiment de la Confédération, et sans accord préalable des autorités locales. Dans quelles conditions? Quel cadre?
Bref, un durcissement incompréhensible et déroutant. On aurait pu attendre du changement de bord politique à la tête de ce département une vision un peu plus large et humaine. Mais encore une fois on ne fait que durcir les conditions pour des gens qui viendront de toute manière. On ne restreindra pas ainsi l’immigration, on multipliera simplement les situations illégales, les passeurs criminels, avec une accentuation certaine des mauvaises conditions d’accueil officielles. Mais cela sans diminuer un tant soit peu l’attractivité de notre pays. Nous voyons là les conséquences d’un discours sécuritaire qui veut faire peur, et qui cristallise toutes ces peurs sur les mêmes personnes, les rendant responsables de tous les maux de notre pays ; il suffirait de dire que notre printemps pourri est la faute des immigrés pour que l’on veuille les chasser à coups de fourches.
Cher Fred,
La democratie, c’est neuf renards et un lapin qui votent sur ce qu’ily aura au diner… Je le repete souvent, mais c’est parce que j’ai souvent l’impression d’etre le lapin. En l’occurence non. Pourquoi un durcissement etait necessaire? A cause d’un exces d’abus documentes dans la presse, a cause de situations ou des familles suisses ont du quitter un logement trop cher ou ont ensuite ete loges des requerants, a cause de femmes qui ne se sentent plus sures dans le centre-ville de Lausanne, et a cause de tant d’autres details qui causent un ras-le-bol general. Si le durcissement a ete accepte par une tellement large partie de la population, c’est que beaucoup de personnes ont juge qu’il etait necessaire, justement parce que le systeme se pretait trop aux abus.
Ne nous faisons pas d’illusions, la Suisse accueillera toujours des demandeurs d’asile. Simplement, si leur demande n’est pas justifiee, ou si ils abusent de l’hospitalite qui leur est offerte, il sera plus facile de les renvoyer. Et s’ils refusent, s’ils presentent un risque de passer en situation illegale ou si ils essaient simplement de faire trainer les procedures pour continuer a vivre aux frais de la princesse, il est justifiable de leur rendre la vie plus difficile en retour. Et tu te moques des « critères permettant de statuer »? Je te demande: que prefererais tu? De l’arbitraire, peut-etre?
Tu fais aussi une belle faute logique: tu dis qu’on ne fait que « durcir les conditions », « multiplier les situations illegales », « augmenter les réseaux de passeurs fraudeurs aux pratiques criminelles, avec leur cortège de décès et d’arnaques énormes », et placer les recalcitrants « dans un centre fermé » mais neanmoins, tu oses pretendre que cela sera « sans diminuer un tant soit peu l’attractivité de notre pays ». Et bien justement, je compte bien rendre notre pays moins attrayants pour des personnes qui n’ont pas une bonne justification pour y demander l’asile. Parce que les bandes de criminels qui abusent de notre hospitalite, j’en ai marre. Et je crois savoir qu’en l’occurence, je fais partie de pres de 80% des Suisses qui en ont marre.
Finalement, je te prie de nous epargner des platitudes a la « L’humanitaire a subi une lourde défaite. » Pour la grande majorite des Suisses, ce durcissement, loin d’etre « incompréhensible et déroutant », etait necessaire. Les renards ont parle.
Meilleures salutations,
Arne
Ah ben clairement, la démocratie reste effectivement toujours un problème pour les « perdants » (exemple des anti-mariage pour tous en France qui refusent une décision prise dans les règles). Je ne peux que constater amèrement le résultat tout en l’acceptant ; en comptant que ce n’est pas celui de 80% des Suisses, mais 80% de 39% des citoyens, ce qui change quand même la perspective (mais le taux de participation n’est pas le sujet, même si c’est toujours une question intéressante à se poser).
Passons donc en revue ce que tu dis…
Ah ben oui les expulsions et explosions de loyers sont dues aux requérants d’asile, c’est évident. Bien sûr ces requérants ont des moyens financiers énormes leur permettant de prendre deslogements super chers. Ce n’est surtout pas le fait de prorpiétaires qui profitent (grand bien leur en fasse) de la loi de l’offre et de la demande, de la thésaurisation des zones à bâtir et de la situation catastrophique du marché du logement. C’est bien évident, tu as raison, l’EVAM dispose de moyens financiers extraordinaires pour loger des requérants. mais alors pourquoi manquent-ils de logements eux aussi et pourquoi expulsent-ils aussi beaucoup de monde? hum, bizarre tout ça.
Tout comme tu as probablement raison, l’insécurité dans les rues, les agressions, les bagarres, tout cela est sans nul doute une conséquence de la présence de quelques milliers de requérants sur le territoire du pays. Et on sait très bien que de cristalliser/criminaliser/précariser la situation de ces gens ne va que les pousser à davantage d’honnêteté.
Comme je le dis à la fin de mon billet, s’ils sont ainsi coupables de tous ces maux, imputons-leur l’érosion du secret bancaire, la mort des abeilles et le printemps pourri à la limite… On reporte sur eux le ras-le-bol général dont tu parles alors qu’ils n’en sont pas la cause.
Bien sûr qu’il y a des abus dans ce domaine… comme dans toute assurance sociale (AVS, AI, chômage, etc.) Je ne me voile pas la face, je sais que ces abus sont là. Je pense simplement que la majorité qui en a réellement besoin ne doit pas souffrir davantage à cause d’une minorité. Minorité criminelle que la loi actuelle permet d’encadrer. Pas besoin de plus de lois et de durcir tout cela pour s’en prendre aux criminels.
Mais non, ce n’est pas en durcissant l’asile qu’on va rendre notre pays moins attractif. Même dans une illégalité complète, même avec une situation instable, beaucoup de ces gens vivent mieux en Suisse que dans notre pays. C’est comme l’interdiction de la mendicité pour cacher la pauvreté ; cela ne la fait pas disparaître mais on cache la merde au chat. On ne va pas limiter l’attractivité de la Suisse en durcissant l’asile, on le fera en faisant en sorte que chacun sur cette planète puisse avoir des conditions de vie humaines, partout. Ce n’est pas gagné et c’est très utopistes. Mais tant que ces dictatures et autres régimes autoritaires seront en place, tant qu’il y aura de la famine alors que nous jetons des dizaines de tonnes de produits comestibles, ça ne changera pas.
Ah oui tu demandes au sujet des critères si je préfèrerais de l’arbitraire. ben justement je crains l’arbitraire et les variations cantonales (voire locales) de traitement. Comme tu définis un requérant récalcitrant? S’il ne peut pas fournir les infos, on va quand même dire qu’il y met de la mauvaise volonté? Qui décide et comment? Ca me fait assez peur là.
Ce n’est pas parce que la majorité a parlé que je peux trouver ce choix juste et raisonnable et humain.