L’autre jour j’ai eu la chance d’être convié dans le cadre professionnel à une avant-première du film L’Abri, de Fernand Melgar. Ce réalisateur suisse a déjà sorti deux films « coups de poing » sur les questions de l’asile, La Forteresse et Vol spécial. Toujours dans cette veine d’un cinéma du réel qui cherche à montrer certaines réalités, voici donc un nouvel opus qui nous présente cette fois les usagers de l’abri de la protection civile de la Vallée de la jeunesse à Lausanne, surnommé « le bunker ». L’endroit est ouvert pendant les mois d’hiver, la nuit, et permet à quelques dizaines de personnes de trouver un toit et un repas, ainsi que certaines commodités, pour le prix de 5.-, dans des conditions spartiates. Essentiellement issus de l’immigration, mais pas que, les personnes qui viennent là sont sans domicile fixe, sans emploi, et vivent dans des conditions de précarité extrême.
Le film est tourné et montré sans commentaires, sans explications. Seul l’enregistrement est diffusé. Aucune voix off, aucun texte (sauf les sous-titres lors de l’utilisation de langues étrangères). C’est l’effet « cinéma du réel » voulu par le réalisateur. Il y a certes le choix des scènes et le montage qui orientent les choses, mais sinon le film montre simplement une réalité, bien souvent inconnue de nombreuses personnes. Et cette réalité est dure ; très dure. J’ai eu les larmes aux yeux pendant la séance. Et on prend avec plaisir les gueulées de l’intendant, les rigolades entre veilleurs ou la fête de Nouvel an à laquelle tout le monde participe, car ces moments amènent un souffle, une respiration au sein d’un film difficile. Les situations rencontrées, la précarité extrême, la volonté de s’en sortir balayée dans un cercle vicieux, la spirale infernale des liens entre logement, emploi, hygiène, confiance en soi, etc. C’est un monde que l’on voit peu, qui se cache (dormir dans la rue à Lausanne est amendable, donc criminalisé), et ce film est l’occasion de se le prendre en pleine figure ; version uppercut violent. Un film que l’on évitera de voir un jour de déprime, certes dur, mais qui permet d’ouvrir les yeux et de se rendre compte de certaines choses souvent méconnues voire inconnues. Le long métrage reflète la réalité, il donne à voir ce qui se passe réellement, ne prend aucune position, ne donne aucune piste de solution ; ce n’est pas là le souhait du réalisateur. Libre à chacune et chacun ensuite de se faire son idée et d’en retirer ce qu’il/elle veut en retirer. Mais après le visionnement de ce film, on ne pourra plus dire « je ne savais pas ».