Le système politique suisse a cela de formidable que c’est l’une des démocraties les plus directes du monde. Avec cet outil fabuleux qu’est l’initiative populaire et qui permet à un petit groupe de citoyens de proposer des modifications de la constitution fédérale ou de leur constitution cantonale (voir même des règlements communaux dans le plus pur esprit de notre état fédéraliste à trois niveaux).Chouette, chacun peut s’exprimer ainsi librement. Il lui « suffit » alors de récolter un nombre de signatures suffisant et le projet passe devant le Parlement qui décide de sa mise en votation et devant le Gouvernement (qui peut proposer un contre-projet). Puis c’est au peuple de se prononcer par votation populaire, laissant ainsi libre cours à son bon sens et surtout à la manière dont la campagne aura marqué sa sensibilité et l’aura fait pencher d’un côté ou de l’autre.
Mais c’est pas comme si ce système pouvait provoquer des abus… non… ça se saurait. C’est pas comme si on se retrouvait avec des lois inapplicables, contraires à certaines interprétations de la Constitution ou en désaccord avec des traités internationaux que nous avons signé. Je pense par exemple à l’imprescribilité pour les crimes sexuels sur mineurs ou l’interdiction de la construction de minarets. Toujours des sujets qui font un peu parler de la Suisse à l’étranger et donnent une superbe et rutilante image de notre douce et paisible nation.
Et puis y’a d’autres abus du système. le dernier en date qui me scandalise un tantinet c’est celui de ce comité qui a lancé une initiative sur la réintroduction de la peine de mort pour les crimes combinant meurtre et sévices sexuels. Euh… oui, vous avez bien lu, la peine de mort, oui le truc ultime là dont on ne revient pas et qui nique a gueule à toute erreur judiciaire parce que une fois appliquée, difficile de libérer le condamné. Mais oui vous savez, la fameuse peine de mort interdite par des traités internationaux dont nous sommes signataires. Celle-là même. Alors oui c’est bien malin de lancer une telle initiative. Certes le sujet visé de ces crimes est grave, et sans aucun doute extrêmement douloureux, ça prend aux tripes. D’ailleurs l’initiative a été lancée par des familles de victimes. Alors évidemment on a eu droit à des levées de boucliers, des gens hurlant au scandale, on disait que de toute manière ça ne passerait jamais, que ce serait pas possible. Première étape de l’initiative, l’étude par la Chancellerie fédérale de sa valeur formelle, à savoir est-ce qu’elle contient les informations nécessaires à une récolte correcte de signatures. Et là ça a été accepté. Dès lors, les initiants pouvaient faire leur récolte de signature et ce n’est qu’alors que le Parlement se serait prononcé sur la possibilité d’un vote populaire de ce texte. Au lendemain de l’acceptation par la Chancellerie, les intiants retirent leur texte qui n’ira donc pas plus loin. Ils expliquent qu’ils n’avaient pas vraiment l’intention de rétablir la peine de mort, simplement d’attirer l’attention sur un problème de société, une situation insupportable où les familles de victimes concernées ne peuvent réellement participer au processus judiciaire contre les accusés, etc. Je l’accorde, les crimes dont on parle sont ignobles, douloureux. De là à proposer le retour de la peine de mort?
Mais surtout ce jeu avec les instruments de la démocratie directe… Ils avaient probablement prévu dès le départ de retirer l’initiative du coup. Et donc? On abuse de cet outil pour ouvrir un débat? Et puis surtout, si on était allé plus loin? Si le peuple avait voté? Et si le « oui » était sorti des urnes? Brrr ça fait froid dans le dos. Impossible, me direz-vous? Les bien-pendants le disaient aussi au sujet de l’interdiction des minarets.
Et au passage, le temps de travail de la Chancellerie sur ce dossier, ça a bien coûté à l’Etat. Tout ça pour rien en fait. Faudrait peut-être commencer par envoyer la facture aux initiants.
Bref, avec leur délire, ils ont résolu à mes yeux à totalement décrédibiliser leur mouvement et leur groupe.
Quand aux fonctionnements de nos institutions, ne serait-ce pas le moment de repenser l’initiative populaire? D’étudier l’adéquation d’une initiative aux lois existantes avant de commencer une campagne de recherche de signatures?