Made in France

« Ce film a été tourné avant les attentats de janvier 2015 ». Voilà le panneau qui ouvre le film Made in France, et on a là toute une polémique qui s’est vite installée. Car s’il dépeint une cellule terroriste islamiste qui met en place des attentats à Paris dans la même veine que ceux qui se sont déroulés dans la réalité, le film n’a rien d’un appel au terrorisme, bien au contraire (dès le début, la position du réalisateur est transposée dans les mots de Sam séparant clairement l’Islam du terrorisme). Mais voilà, comment communiquer sur un film avec ce sujet dans le contexte de l’époque? Du coup, avec des campagnes d’affichage annulées, une sortie finalement uniquement en vidéo et pas en salles, le film n’a eu qu’un impact limité. Alors que ce qu’il montre et dénonce mériterait une meilleure visibilité. Mais oui, je comprends la difficulté de communiquer sur un film tel que celui-ci. On marche sur des œufs là, des fragiles en plus, avec des grosses chaussures.

On y suit Sam, jeune journaliste français curieux, de religion musulmane, qui s’intéresse aux dérives de l’islamisme. Il va donc infiltrer ces milieux, les mosquées secrètes aux imams intégristes, s’approchant d’un groupe de jeunes gens. Avec le retour du Djihad d’un de leurs amis, cette petite bande va se radicaliser davantage et devenir une cellule préparant un attentat. Sam va se retrouver écartelé entre sa volonté de protéger sa femme et son fils, de se protéger lui-même, de faire tomber la cellule, et la volonté des services d’espionnage de faire tomber les étages supérieurs de l’islamisme. Une belle toile d’araignée, dure et brutale, qui va mener à la violence et au bain de sang, semant quelques morts sur son passage.

Le film est tourné de manière très proche des protagonistes, carré, brut, au plus proche de leur vie. On les suit dans leurs croyances, leur fanatisme, certaines remises en question. On ne regarde pas le grand plan, les financeurs, les réseaux à grande échelle, on ne dépasse pas l’échelle de la cellule elle-même (et d’ailleurs l’aveu final de Hassan est énorme de ce point de vue). Du coup on est proche de jeunes gens aux origines et parcours divers, mais tous menés par la même force, une croyance dans une foi galvaudée. Le réalisateur Nicolas Boukhrief, lui-même fils d’un nord-africain, a réussi un véritable tour de force, résultant d’une enquête sur les milieux concernés. Les terribles événements de janvier 2015 lui ont donné raison et ont démontré l’exactitude de son propos ; il a  vu juste, et ça fait mal.

Devant la caméra, on retrouve une brochette d’acteurs qui se donnent pour porter ces personnages difficiles et aux motivations terribles. Malik Zidi est le héros, le journaliste qui veut dénoncer l’horreur, la caution qui rappelle que le film dénonce l’islamisme et ne le soutient pas, avec un rôle tendu, à fleur de peau, fil rouge du long métrage, une bonne interprétation. Les autres jeunes embrigadés et manipulés dans la bande forment un panel d’origines diverses, de personnages démontrant les différents terreaux utilisés par le radicalisme pour aller chercher de nouveaux soldats. Francois Civil (Catacombes,…) marque le plus, avec son rôle de fils à papa de bonne famille française, démontrant que les extrêmes peuvent surgir partout, même là où on ne les attend pas. Il y a aussi Nassim Si Ahmed et Ahmed Drame, deux rôles prenants, poignants. De son côté, Dimitri Storoge est impressionnant en leader de cellule froid, implacable, dur, qui fait vraiment peur. On notera encore les prestations de deux femmes que tout oppose, Judith Davis et Nailia Harzoune, face aux aspects machistes de ces hommes fanatiques.

Bon y’ pas à dire, ce film fait froid dans le dos. D’un réalisme dur, qui prend encore une toute autre dimension dans le contexte de ce début 2015, Made in France mérite d’être vu, pour tenter de comprendre, pour ne pas se voiler la face, pour percer certains mécanismes. Ce n’est pas un film facile à voir, et il faut se rappeler que ça reste une fiction. Mais il n’empêche, quand la fiction est aussi vite rattrapée par la réalité, il y a des fois où ça fait peur. Un bon film, bien mis en scène et très bien interprété, qui nous plonge dans l’un des pires dangers de notre époque.

 

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