Allez hop, c’est parti pour un petit article de jeuderôlogie…
Tout ceci est venu d’un article du blog d’Alias qui lui-même se référait à un article de Démiurge sur Limbic Systems, intitulé « Le jeu de rôle est potentialité ». Et je dois dire que j’aime beaucoup la réflexion qu’il y a là autour. En particulier on va commencer avec la remarque d’Alias :
cela m’interpelle personnellement parce qu’autant, au niveau de mes envies de meneur de jeu (MJ), je me retrouve dans la description des parties avec un scénario minimal ou inexistant , autant en tant qu’auteur, je me sens obligé d’avoir une démarche différente.
Le problème est que si on se contente d’écrire un scénario qui présente les forces en présence, décrit deux ou trois saynètes et laisse le MJ se débrouvamerder avec le bazar, pour le lecteur moyen, ça ressemble fort, au mieux à un bidule inaccessible et, au pire, à un foutage de gueule grand style.
ben ouais, moi aussi j’ai tendance à envisager mon scenar comme une situation de base dans laquelle je balance les PJs et à eux de se démerder. Quelques lignes sur l’intrigue globale, sur quelques PNJs principaux et vogue le navire. je suis aussi fortement habitué à des joueurs capables non seulement de foutre en l’air n’importe quel scenar, aussi préparé soit-il, mais aussi de créer leurs propres scenars au final, soit en se mettant dans la merde jusqu’au cou, soit en ayant des besoins et des buts particuliers. Bref, je n’ai jamais ressenti le besoin d’aller plus loin… jusqu’à ce que je bosse sur des jeux « pros » devant sortir en vrai et destinés à être lus par un public plus large que moi tout seul. Et du coup une demi page A4 griffonnée de notes diverses, ben ça ne passe pas. Le jeu se destine à des gens n’ayant pas obligatoirement la même manière de jouer que moi, des gens appréciant parfois d’être davantage encadrés. Après tout, je les comprends : on n’achète pas un jeu pour avoir à faire encore tout le boulot derrière. Bref, je me suis aperçu assez rapidement que je suis assez une quiche quand il s’agit de rédiger un vrai scenar suivi, jouable et compréhensible par quelqu’un ne se trouvant pas dans ma tête. J’ai tellement l’habitude de laisser les joueurs décider de la voie qu’ils veulent suivre que j’ai vraiment de la peine à préparer une trame et un déroulement de l’intrigue plus précis.
Du coup, quand je tombe sur des articles du genre présentant d’autres formes de scenarios que ce que l’on trouve habituellement dans le commerce, et bien ça me fait tilter. Le système « création au pied levé » de Démiurges est très sympa certes. Avec cette belle citation :
Tout ce qui est préparé et qui contraint ou interdit les choix ou actions du joueur pourtant viables pour la forme d’histoire convenue avec les joueurs est à proscrire. C’est une rupture de l’intérêt fondamental du jeu de rôle : la malléabilité du matériau fictionnel.
C’est bien joli tout ça mais comment ça marche? Ben en gros comme ce que j’ai l’habitude de faire, avec un tantinet plus de préparation. En gros on a l’intrigue de base, des descriptions de lieux et de personnages types, et on y va. En bridant le moins possible les joueurs, on obtient une forme nettement plus dynamique de création narrative autour de la table. On notera cependant que Démiurge, tout bon auteur et créateur qu’il soit, a à son actif des jeux plutôt tordus, obscurs, particuliers, et très underground. Sans remettre en cause leur qualité intrinsèque, ils sont quand même hors du cadre standard, de ce que le joueur moyen cherche en allant dans sa boutique. Du coup, prévoir des scenars sur ce modèle particulier reste dans le cadre du jeu. Mais quid de jeux plus classiques? Que dirait le lecteur s’il se retrouvait avec juste ce genre de chose devant les yeux? Comme dit dans la discussion qui suit l’article de Démiurge, le MJ qui veut faire du non-linéaire et partir un peu plus en freestyle peut le faire à partir des scenars écrits linéaires ; un peu d’adaptation, garder l’essentiel et on est bon. Mais dans l’autre sens? Le MJ qui cherche un cadre clair ne pourra pas faire grand chose de matériel non linéaire. Et si on cherche à faire un jeu qui plaise à un maximum de monde, ben il faut s’adapter ; l’aspect commercial n’est pas négligeable, même (et surtout?) dans un domaine aussi petit et aussi « marché de niche » que le jdr.
Et de là je rebondis quand je regarde les deux scenarios actuellement écrits pour ExtReM_37. Ben ils en sont pas loin au final, même si c’est rédigé avec plus de détails. On a une situation dont il faut se dépatouiller, on a des lieux, des PNJs, mais en gros on donne libre cours aux joueurs pour trouver la solution. On a des scènes types, des trucs centraux posés, mais le reste est laissé à l’appréciation du MJ. Et là je me retrouve plus ou moins dans la situation d’un autre article d’Alias, sur les « trames adaptatives », qui me semble une sorte de chemin médian entre les deux. On ne laisse pas liberté totale aux joueurs, mais on adapte le scenar à leurs idées et leurs actions au fur et à mesure. Comme le dit aussi Thias en réagissant à l’article de Démiurge :
préparer la ou les solutions les plus probables, et laisser au MJ loisir d’ignorer ce qui a été préparé, c’est son rôle après tout.
On se retrouve dans une version hybride qui me plaît franchement beaucoup. La trame adaptative d’Alias part d’une situation de base, et pose quelques scènes incontournables que l’on va caser. Le reste est en fonction des joueurs. On adapte pour que les scènes incontournables arrivent, même si les protagonistes ne sont pas ceux prévus. Après tout, si on tient à cette grosse baston impressionnante au somment d’un immeuble secoué d’explosions et prêt à s’effondre, peu importe que les persos affrontent les méchants de la faction X, Y ou Z. L’essentiel est de jouer la tension et d’avoir une narration là autour. Et si les joueurs se sentent plus impliqués parce que leurs persos ont trouvé une voie qui leur convient, et bien autant changer l’adversaire (pirouette scenaristique oblige, mais attention à éviter les retournements capillotractés). Si je repense à l’un des scenars d’ExtReM_37, nos personnages ont une mission de base et il y a un « adversaire », mais ce dernier n’est pas défini ; le scenar donne une liste de possibilités, et le MJ choisira en fonction de ses joueurs, de leur style, de l’ambiance qu’il veut donner, qui sera ce « méchant de service », voir même en piochera un autre pour coller à ses envies et aux actions des joueurs. Idem, les persos sont libres de mener bien des choses comme bon leur semble, du moment qu’ils gardent en tête l’objectif de la trame globale. J’aime bien ce genre de chose, et je pense que Pénombre a fait un super boulot sur les deux scenars.
Point supplémentaire dans le travail sur ExtReM_37, c’est le lien avec le système de jeu. On a un système faisant la part belle à la narration et à l’intensité dramatique, avec l’opportunité pour les joueurs de prendre la main narrative, de participer à la construction, à la description, lors des scènes importantes. Du coup, voilà une possibilité pour eux de laisser aller leurs propres idées au sujet du scenar. Ca devient très intéressant là…
Pour ma part, je ne suis toujours pas très chaud au niveau écriture de scenars. J’ai pris un gros cours en accéléré sur la campagne Capharnaüm dont j’ai écrit une petite partie. Le cadre donné ne laissait qu’une certaine marge de manoeuvre à l’intérieur des scenars. Et il fallait clairement quelque chose de cadré et de plus ou moins linéaire. Le tout dans un nombre de signes quelque peu restreint. Pas évident du tout et j’ai du faire fonctionner à plein régime ma capacité d’adaptation. J’ai fait de mon mieux, et j’ai perçu certaines de mes limites. Ce n’était pas facile pour moi Autant je peux pondre du signe facilement pour décrire une univers, des lieux, des personnages, etc, autant la conception d’un scenar jouable « grand public » me pose réellement un souci dans ma méthode de travail.