Etrange film que ce Benjamin Button… Prenant, émouvant, avec sa dose de fantastique inexpliqué… David Fincher a réalisé là un film à part, situé entre la fresque d’une période historique et la love story impossible et destinée à mal se terminer. Alors c’est certain, Fincher n’a pas l’habitude des films trop faciles (The Game, Fight Club, Seven, par exemple) mais là on sort carrément des registres. On n’est pas devant un film avec une action bien établie et les habituels gentils et méchants de l’histoire. Ici on est face à un homme, et à sa découverte du monde.
Benjamin Button est né vieux en 1918. Nouveau-né, il a les maladies et les caractéristiques d’un homme de 85 ans. Abandonné par son père (veuf), Benjamin est repris sous l’aile d’une aide soignante s’occupant de personnes âgées dans un home. Et sa vie va défiler, il va découvrir le monde alors que son corps rajeunit. Le film suit sa vie mouvementée jusqu’à sa mort, bien des années plus tard, sous la forme d’un nourrisson. Jamais, pas une seule fois, ne sera expliqué le pourquoi de cette part de fantastique, cet aspect irréel du corps né vieux qui rajeunit. Et ce mystère participe grandement au charme du film d’ailleurs…
Le film est donc une fresque qui nous dépeint le monde autour de Benjamin pendant cette longue vie. Né au terme de la Première Guerre Mondiale à la Nouvelle Orléans, il nous permettra de voir l’évolution des mentalités (la place des gens de couleur ou des femmes dans la société par exemple). On découvrira l’arrivée brutale de la guerre et ses conséquences sur le peuple américain. On découvrira l’émergence de nouveaux modes de vie. On se prendra à observer les changements visuels, tels que voitures et autres. Une longue fresque pour une longue vie pleine d’embûches et d’événements dramatiques.
Mais Benjamin Button c’est aussi une histoire d’amour. Tragique, superbe, sans chichis inutiles. Tout petit, benjamin rencontre Daisy, une jeune fille dont il va s’éprendre. Enfant dans un corps de vieillard, il aura bien de la peine à comprendre ce qui l’envahit. Leur histoire va évoluer, ils vont se quitter et se retrouver à différentes reprises. A un seul moment se trouveront-ils vraiment compatibles, faits l’un pour l’autre, chacun au milieu de sa vie, ayant donc le même âge (et physique et mental). Mais une histoire qui, par définition, ne peut que mal finir. Benjamin va rajeunir, devenir un enfant, perdre cette possibilité d’une vie d’adulte, la fin est inéluctable. Je ne suis globalement pas fan des histoires d’amour au cinéma, trop dégoulinant, trop d’eau de rose, trop pas crédible. Mais ici on a droit à quelque chose de fabuleux, de merveilleux, de pur, de dur, de tranchant. Et j’avoue en avoir eu les larmes aux yeux. Le dernier tiers du film en particulier, en gros, est extrêmement touchant et émouvant.
C’est aussi l’histoire d’une incompatibilité. Un homme qui n’est jamais à sa place. Enfant, on le prend pour un vieillard. On lui demande le nombre de ses conquêtes, on l’emmène boire un verre. Et l’énorme décalage entre son esprit et son corps donnent une sensation très forte. Son malaise est omniprésent. Il tente de le surmonter, mais le poids des apparences est trop lourd. Le vieillard ridé sans expérience de la vie, à bas la figure du vieux sage qui sait tout. En grandissant, il devient un bel homme puis un beau jeune homme. Face à lui, toutes ses relations vieillissent, dépérissent. Lui peut ainsi profiter pleinement de son expérience de la vie dans un corps jeune et en pleine forme. Alors que l’habitude veut que cela soit impossible, l’expérience ne venant qu’avec une diminution des capacités du corps. En décalage permanent face à son entourage, avançant à rebours de l’humanité, Benjamin devient témoin de ce qui se passe autour de lui sans vraiment pouvoir en faire partie tant il est différent. Poignant aussi…
Le tout est fort bien emmené. Le film n’est pas rapide, on est loin des successions de plans épileptiques à la mode. En dehors de quelques passages plus soutenus (la guerre par exemple, et encore), Fincher prend son temps pour conter cette histoire (et non pas son histoire, vu que ce film est tiré d’une nouvelle). Certes, il peut y avoir 2-3 temps un peu plus morts. Mais dans l’ensemble, le tout est tellement prenant et poignant qu’on se laisse embarquer avec plaisir dans cette lente dérive d’un homme face à un monde qui ne vit pas comme lui. Et la fin, la fin si dure, cette mort inévitable de Benjamin sous la forme d’un nouveau-né à l’air innocent, après le passage du pré-ado victime d’Alzheimer, waow, gosh… Pas facile. Dur.
Bref, cette Etrange Histoire de Benjamin Button est un véritable conte, une fresque, une histoire d’amour, le tout mêlé délicatement. Emmené par des acteurs en très grande forme. Et soutenu par un choix de couleurs et de cadrages au point. Un film tout simplement beau, difficile à décrire réellement ou à faire rentrer dans une case formatée du box–office. Une belle réussite…