Lorsque l’éditeur Les Moutons Électriques a lancé une nouvelle collection appelée Les Saisons de l’étrange avec un financement participatif, j’avoue avoir été séduit et j’ai été mettre des sous dans l’escarcelle numérique destinée à faire vivre tout cela. Il faut dire qu’en plus de faire appel à des auteurs que je connais et apprécie, la collection partait dur des thèmes de fantasy urbaine, steampunk, uchronie, savant fou et autres trucs naviguant entre fantastique et polar. Que du bonheur donc. Deux titres avaient plus ou moins « lancé » la collection, les très bons Et si le diable le permet et Malheur aux gagnants, que j’ai beaucoup appréciés. Bref, ces Saisons de l’étrange avaient tout pour me plaire et c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai posé les ouvrages fraîchement arrivés sur ma pile à lire. Le premier arrivé a été le premier lu, à savoir ce 115° vers l’épouvante, de Lazare Guillemot…
Le roman prend place dans les années 20 et démarre en Angleterre. Un prêtre inspecte la lande et des mégalithes, avec un adolescent du coin engagé comme guide. Suite à une rencontre avec une créature étrange, ils vont faire la connaissance d’une famille d’explorateurs-aventuriers. Leur quête va les mener sur les océans pour tenter de sauver le monde face à la renaissance d’une ancienne divinité monstrueuse. Avec un titre comme celui-ci et une référence lovecraftienne, on s’attendrait à un récit d’ambiance horrifique/épouvante. On se retrouve plutôt avec une ambiance pulp d’aventures et de découvertes, d’exploration et de mystères à résoudre. Ce qui en soi ne me dérange pas, c’est un genre qui me plaît vraiment. Mais là je ne sais pas pourquoi, ça ne colle pas. En fait cette lecture est un peu une déception.
Déjà les personnages. La plupart des personnages principaux (le père Brown, mais aussi Ironcastle et sa famille) sont repris de textes plus anciens d’autres auteurs (Chesterton ou Rosny aîné). Leur introduction dans le livre est faite de manière très abrupte, rapide, un peu comme si leurs aventures passées étaient censées être connues des lecteurs. Ce n’est absolument pas mon cas et je pense ne pas être le seul. D’ailleurs, si une note de bas de page indique que les précédentes aventures d’Ironcastle peuvent être lues en donnant le titre de l’ouvrage, rien n’est dit pour le père Brown. De même, la créature malveillante qui sous-tend tout cela a été inventée par un auteur lovecraftien, et Lovecraft lui-même l’a intégrée à sa cosmogonie par la suite ; pour le père Brown et cette divinité malsaine, ce sont de rapides recherches post-lecture qui m’ont amené à découvrir leur origine littéraire. On a des éléments repris de ci de là et mêlés en une salade qui du coup fait un peu fourre-tout. Et franchement ce n’est pas ce qu’il y a de plus digeste. J’ai eu pas mal de peine avec cela, je ne suis jamais vraiment rentré dedans et je n’arrivais guère à m’attacher aux personnages.
Le début du roman est très abrupt, nous met directement dans l’ambiance. Une bonne intro in media res qui nous plonge dans l’action et l’intrigue. Certes on ne comprend pas grand chose au pourquoi et comment de la présence de nos héros à cet endroit, mais les explications vont venir. Et là aussi, les explications sont parfois un peu tortueuses et ne sont guère prenantes. On a des personnages qui subissent quelque chose et rencontrent ensuite d’autres personnes leur expliquant tout. Du coup on a soudainement un info dump lourd en plein dans le cœur du roman. Le rythme de l’action et de la poursuite est coupé par cette explication d’événements passés. Et c’est là que, aussi bien dans le passé que dans leur quête présente, on a l’impression de personnages qui subissent. Sans jamais arriver à prendre la main, ils ne sont guère acteurs ou meneurs de l’action, ils prennent tout dans la gueule. Jusqu’au dénouement où, soudainement comme par magie, l’un d’entre eux comprend quoi faire et paf le climax est passé en deux lignes et demi, beaucoup trop rapides par rapport à l’ampleur des enjeux construits jusque là.
Bref, vous l’aurez compris, je ne suis pas super fan de ce premier vrai titre des Saisons de l’étrange. L’écriture n’est en soi pas mauvaise, même si c’est un peu lourd pour un public francophone de se farcir des miles, pieds, et autres PM à longueur de pages ; OK, cela fait partie du contexte anglo-saxon et cherche à bien rendre le point de vue des personnages, mais cela alourdit aussi puisque l’on doit penser en conversions à chaque fois. Avec ses personnages parachutés, sans profondeur, avec son mix d’éléments trop disparates, avec son intrigue subie et sa conclusion trop brusque, ce roman ne m’a pas franchement passionné ; je ne suis pas rentré dedans. Et pourtant autant le pulp/aventures que le lovecraftien sont des trucs qui me parlent bien à la base. Mais là non, désolé. J’ai cependant bon espoir que la suite de la collection soit plus agréable.
Une réflexion sur « 115° vers l’épouvante »