Je vous avais déjà dit tout le bien que je pensais de la plume de Jean-Philippe Jaworski dans mon billet sur Janua Vera, son recueil de nouvelles relatant diverses histoires dans son univers imaginaire du Vieux Royaume. Et bien ce n’était qu’une mise en bouche puisque la suite est arrivée sous le titre de Gagner la guerre, un imposant (1’000 pages en poche, à une vache près) roman prenant et trépidant qui mêle action, coups fourrés, manipulations politiques, bastons, poursuites et tractations en suivant les pas de don Benvenuto Gesufal, héros de l’une de mes nouvelles préférées de Janua Vera (« Mauvaise donne »). Après cette lecture passionnante, les conclusions sont un peu les mêmes que pour le recueil, mais décuplées. Un récit passionnant, une intrigue très bien conçue, un univers crédible et solide extrêmement bien décrit, une écriture de très haut vol mais qui s’avère parfois difficile d’accès et nécessite une certaine culture pour être appréhendée, et malheureusement quelques clichés de la fantasy traditionnelle dont à mon avis l’univers aurait pu se passer pour garder tout son panache et ses particularismes. Mais ces défauts rapidement évoqués ne sont que peu de choses par rapport aux qualités du livre que je recommande chaudement. C’est un vrai régal, un livre qui se dévore et qui démontre que la fantasy française a droit à ses lettres de noblesse. On sort de la traditionnelle et malheureusement trop célèbre fantasy de bas-étage si chère à l’ami Bob.
Le début de Gagner la guerre nous fait retrouver Benvenuto Gesufal. Si vous n’avez pas lu le recueil, pas de problème, vous ne serez pas perdus ; mais bon, qu’attendez-vous pour aller l’acheter? D’ailleurs je vous conseille la lecture de la nouvelle « Mauvaise donne » avant ce roman qui en donne quelques éléments. Alors que sa place est sur la terre ferme au plus proche des contrats d’assassinats pour lesquels il est si doué, notre héros est sur une galère en mer, au moment où la République de Cuidalia vient de l’emporter dans une guerre face à l’ennemi de toujours (ou presque). Le truc, c’est que c’est une chose de gagner la guerre, encore faut-il savoir en tirer parti. Et pour ce faire, le boss de notre assassin est prêt à pas mal de petites magouilles pas piquées des hannetons. Notre héros va donc se retrouver au cœur d’un complot politique qui va très vite le dépasser, mais dans lequel il jouera un rôle central. Et dès le début de ses aventures, Benvenuto va découvrir ce que c’est que d’être juste un exécuteur à la solde des puissants puisqu’il va souffrir. C’est là l’une des forces du roman, notre héros est certes extrêmement brillant dans son domaine, avec des talents très poussés et des capacités extraordinaires, mais il n’en reste pas moins un homme ; qui souffre. Et il va en chier tout au long du roman. En le suivant de si près (rédaction à la première personne), le lecteur va souffrir avec lui. Sans vous révéler la fin qui mérite largement de ne pas être spoilée, cette souffrance va être au cœur de l’intrigue et va y jouer un rôle prépondérant. Bien qu’étant un salaud, un assassin, un menteur, et un arnaqueur sans remords, Benvenuto va se révéler attachant, et le lecteur deviendra son confident au fil des pages et des révélations sur l’ampleur des magouilles politiques en cours.
Un mot sur l’écriture… Je l’avais déjà dit pour Janua Vera, Jean-Philippe écrit extrêmement bien. Les mots sont choisis avec un soin tout particulier, les ambiances sont rendues à la perfection, les scènes sont décrites avec une précision qui permet au lecteur de ne jamais se perdre. Tout concourt à rendre l’univers vivant, avec ses termes propres, ses éléments particuliers qui en font un monde à part, suffisamment proche du nôtre pour être compréhensible. L’auteur nous y plonge avec un talent incroyable. Jusqu’à ces dialogues en argot d’assassins qui sont parfaitement incompréhensibles en eux-mêmes mais que le contexte permet d’assimiler. Tout est écrit et travaillé jusque dans les plus petits détails, toujours avec une justesse et une précision étonnantes. Et c’est justement ce qui peut rebuter ou faire peur à certains lecteurs. Il ne faut pas avoir peur d’être confronté à de nouveaux mots et à tout un vocabulaire quand on aborde ce roman. La richesse des mots est telle qu’elle en fait tourner la tête, et les descriptions d’armements, de pièces d’armures, de bâtiments maritimes ou de techniques de combat, pour ne citer qu’elles, sont parfois surprenantes de par les détails et les termes employés. Mais c’est aussi cela qui fait le plaisir de ce roman, cette écriture de qualité.
Reste que cette écriture ciselée permet de vrais très bons moments. Les descriptions mêlent les cinq sens pour emporter le lecteur dans le Vieux Royaume. En particulier vue, ouïe, odorat se mêlent pour nous faire ressentir les situations si diverses et variées, se mêlant parfois avec des sons qui deviennent couleurs et des lumières sonnant dans les oreilles. Tout ceci forme une très belle symphonie d’écriture qui place un décor détaillé afin d’y mettre une action savamment dosée. Un autre aspect que je voulais mettre en avant dans le travail d’écriture, c’est la description de la ville de Ciudalia, devenue en fait l’un des principaux personnages du roman, un être en soi, si vivant et marqué par ses désirs, ses instincts, son attitude si particuliers. La ville devient vivante, une créature à part entière, un pan en soi de l’œuvre. Le tout magnifiquement rendu, passant du statut de maîtresse accueillante à celui de manipulatrice dégénérée, accueillante et ouverte mais aussi terriblement malsaine et tentatrice.
Un autre petit reproche, déjà fait sur Janua Vera, c’est la présence d’elfes, mais aussi de nains. Des poncifs de la fantasy qui me semblent plus rapiécés qu’autre chose ici, sans substance, comme si l’auteur avait voulu rajouter un truc plus classique pour donner un ton plus fantastique à un univers plutôt typé low-fantasy. Ce choix se justifie sans doute mais ne me semble pas des plus heureux. Ces personnages auraient, me semble-t-il, tout aussi bien pu être humains. Ou alors d’un peuple spécifique au Vieux Royaume, plutôt que de reprendre des clichés qui font tache au sein de cette création si foisonnante de bonnes idées.
Au final, et malgré un ou deux petits défauts, Gagner la guerre est un très très bon roman, une œuvre à ne pas manquer pour tout amateur de fantasy ; et même pour d’autres (ma femme ayant déjà apprécié Janua Vera, je ne désespère pas de la lancer sur ce bouquin, elle qui fuyait la fantasy jusque là). Bien écrit, avec une intrigue de qualité, alternant de fort belle manière action et politique, avec un rythme bien maîtrisé, ce roman est une grande réussite et j’attends avec une impatience non-dissimulée la suite des écrits de Jean-Philippe.
question, c’est aussi difficile à lire que « A Game of Thrones » ?
Non, parce que contrairement à A Game of Thrones, c’est bien :). Ok, je ->
C’est nettement moins long à démarrer que Game of Thrones et il s’y passe plus de choses. Mais c’est difficile de comparer, vu que ce que j’ai lu de Game of Thrones c’était en anglais.
ah oui je signale via les liens Facebook que ce bouquin est l’œuvre de Jean-Philippe Jaworski…