Au début de la semaine passée à eut lieu à Paris l’e-G8, un soi-disant pré-sommet du G8 commandité par Nicolas Sarkozy et qui se voulait, sur le papier, un lieu de discussion autour du web afin d’amener aux politiques lors du G8 standard la position des acteurs de cette sphère. Sur le papier, oui, Parce qu’en lieu et place des acteurs du web on retrouve des grands groupes de médias, de pub, des gros poissons, des majors, des politiques, bref en quasi-unanimité des gens qui ne sont que d’un côté de la barrière. Pas ou quasiment pas de représentants de ceux qui font le web, à savoir les utilisateurs, ces millions de personnes connectées sans qui Internet ne serait rien. Où était la société civile dans ce prétendu « débat »? D’ailleurs n’appelons pas cela un débat puisque tous les invités formaient un joli consensus sans que l’on ne laisse libre cours aux avis divergents. Et pourtant, quel lieu de rencontre représente mieux que le web la convergence d’opinions et le débat? Quel autre domaine qu’Internet peut se targuer d’être aussi ouvert? Le web apporte une nouvelle vision du monde, de la rencontre, de la distribution, de la culture, de la communication. Il est la plateforme qui change la donne et redonne à « la masse » la possibilité de s’exprimer haut et fort en se faisant entendre dans le monde entier ; ou tout au moins en ayant la possibilité d’être lu/vu/entendu dans un très grand nombre de pays.
Mais voilà, nos gouvernements et grands patrons n’ont rien compris à ce mouvement nouveau. Ou alors ils ont compris et en ont peur. Sûrement un peu des deux je pense. Et bien oui par le web, avec son immédiateté et sa neutralité, toute info peut être relayée facilement et rapidement ; tout commentaire et tout avis peut se partager dans tous les sens. Et les biens culturels tels que musique, livres et autres peuvent enfin s’échanger directement d’artiste à consommateur en se passant des majors qui rythment selon leurs envies le marché en lui dictant leurs choix. Il n’en faut pas plus pour qu’un Sarkozy réclame de « civiliser l’Internet », faisant ainsi passer les internautes pour des sauvages monstrueux aux mœurs à corriger ; je ne sais pas pour vous, mais moi je le prends assez mal d’être ainsi perçu. Pas étonnant dès lors que cette fausse bonne idée d’e-G8 vienne de l’omniprésident français qui fait diriger l’objet par le directeur d’un grand groupe de publicité. Mouarf. Après tout, cette vision du web colle avec les visées de l’inadmissible ACTA. Et puis rappelons quand même que c’est le gouvernement à l’origine de Hadopi qui nous pond l’idée du e-G8 (là en général on s’écroule de rire quand on voit la dose de ridicule accumulée par Hadopi depuis ses débuts) ; sans parler de ce président qui a refusé en 2010 une conférence au sujet de la liberté d’expression sur Internent. Cherchez l’erreur.
Je dis « fausse bonne idée » parce que de base un vrai e-G8 serait une très très bonne chose. Et bien oui, inviter autour d’une table tous les acteurs du web (et j’insiste sur le tous) serait un bien. Au moins tous leurs représentants. Comment faire l’impasse sur des organismes comme La Quadrature du Net par exemple quand on se propose de déterminer l’avenir de l’Internet? Comment éviter la société civile qui fait le web et qui le vit? Une fois posées les bases, un petit rapport de ce qu’est vraiment le web serait ainsi transmis aux politiques qui trop souvent n’y connaissent rien du tout. Il serait réellement intéressant d’avoir une vision moins tronquée de l’espace internet.
Bref, vous l’aurez compris, cet e-G8 n’est pour moi qu’une immense blague qui va coûter une coquette somme ; on relèvera que l’Etat ne paye pas grand chose (un grand ouf des contribuables qui auraient eu de quoi se sentir floués), mais que l’investissement est fait par de gros partenaires, et de là à dire qu’ils ont payé leur temps de parole il n’y a qu’un pas. Et je ne suis pas le seul à m’insurger contre cet énorme foutage de gueule. Petit florilège d’articles qui vont décortiquer un peu le truc :
Musique en ligne : coup de chaud sur l’e-G8, sur Clubic. Quel parterre d’orateurs avait-on à la conférence sur « propriété intellectuelle et Économie de la Culture à l’âge du numérique »? Pascal Nègre (PDG Universal), Frédéric Mitterrand (Ministre de la Culture), Antoine Gallimard (président des Editions Gallimard), Jim Gianopoulos (président 20th Century Fox) et John Perry Barlow (co-fondateur de l’Electronic Frontier Fondation). Ah ben ouais tiens y’a Barlow dans le tas, ouf on pourrait se croire sauvés ; sauf qu’il est un peu en minorité face au front uni des majors alliée au gouvernement français. On s’amusera de la cittation de M. Miterrand : « Sur Hadopi, j’ai été frappé de voir qu’en France, il reste un certain nombre de gens qui n’ont pas désarmé pour critiquer cette institution alors qu’elle a un effet d’entraînement considérable sur le plan pédagogique. A Hollywood, elle est considérée comme une amélioration dans la protection des droits. L’Hadopi contribue donc à pacifier l’environnement général ». Waouw! Il est têtu. Ou alors il ne comprend rien. Dire qu’Hollywood soutient Hadopi c’est justement prouver que cette loi tient au cœur des distributeurs et majors, sans s’intéresser aux artistes ou aux utilisateurs. Elle pacifie l’environnement à ce sujet? Nan vraiment il y en a qui ne suivent pas l’actualité je crois. Heureusement que Barlow a permis de garder des questions fondamentales, même si rien n’a été esquissé comme réponse : « Vous ne pouvez pas posséder la liberté d’expression. Si vous commencez à vouloir contrôler le contenu, bientôt vous contrôlerez les choses qui ne vous plaisent pas, alors qu’Internet devrait être la possibilité pour tous de satisfaire sa curiosité dans tous les domaines ». ben ouais, on lui répond qu’il n’y a pas d’autre modèle possible que celui en place, et hop voilà comment on débat sur le fond…
Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web, sur OWNI. Titre bien révélateur, qui montre que l’on est bien en face de dirigeants coupés de la société civile et des vraies questions de société prenant de grandes décisions (d’ailleurs la société organisant l’e-G8 organise Davos, hahaha). L’article relève allègrement la prédominance des questions purement économiques et de rentabilité sans jamais (ou presque) aborder les aspects sociétaux d’Internet qui sont pourtant fondamentaux. On notera la citation de Cory Doctorow qui a décliné l’invitation avec un bon « C’est une tentative de manipuler les gens qui s’intéressent à l’Internet, pour qu’ils prêtent de la crédibilité à des régimes qui sont en guerre avec le web ouvert et libre. »
L’Internet civilisé selon Sarkozy, sur OWNI encore. On y décrit la vision du web du président français qui a lancé cet e-G8, et donc tout de suite cela donne un joli cadre. L’article revient sur cette fameuse interdiction d’une conférence autour de la liberté d’expression sur le web, et les termes utilisés par le président deviennent symptomatiques d’une vision d’Internet totalement déconnectée de la réalité. Et de fait, si toute prise de position hors de cette voie pavée est de la cybercriminalité, comment envisager que l’e-G8 soit un lieu de dialogue et d’échange? Comment y envisager des débats sains et construits? L’article rappelle encore les volontés actuelles de certains politiques de « civiliser l’Internet » (sous-entendu que nous autres internautes sommes des sauvages), quitte à installer autour de l’espace Schengen la même barrière que la Chine a mise en place dans son filtrage des contenus. Et on sait que la Chine est mondialement connue pour son respect des droits de l’Homme et de la liberté d’expression. Pour la forme, revenons encore sur la liste des intervenants de l’E-G8 : plus de 70 CEO et autres représentants des acteurs industriels et économiques, une dizaine de journalistes (souvent présents en tant que modérateurs), une petite dizaine d’universitaires ou représentants d’ONG et 8 représentants de gouvernements. Deux poids, deux mesures? Meuh non. Cet e-G8 serait-il un énième coup de pub d’un gouvernement centré sur les questions sécuritaires et qui aime faire peur aux gens pour mieux faire passer son message?
E-G8 : le Net, ce grand incompris des Etats (et de Sarkozy), sur Rue89. Ici on met encore une fois en évidence le manque de compréhension d’Internet qu’a Sarkozy, et donc ce qu’il a donné comme cadre à son e-G8. Il est comparé à un monarque de l’Ancien Régime s’adressant à ses sujets, quelqu’un de totalement déconnecté des vraies questions et des vrais problèmes, représentant d’une caste minoritaire mais exceptionnellement influente et qui impose sa vision des choses. Relevons que, pour la première fois de sa carrière, Sarkozy a parlé lors de l’ouverture du forum de la liberté offerte par le web et de ses bienfaits ; tout en continuant à défendre des lois liberticides et contraignantes au possible.
G8 : la récupération du Net en route pour Deauville, sur La Quadrature du Net. (pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi, le vrai G8 suivant l’e-G8 se tenait à Deauville) Ici on explique qui porte le message définissant le web aux dirigeants du G8, à savoir les représentants de consortiums mégalomaniaques aux visées purement commerciales. L’exclusion de la société civile est encore une fois mise en avant. Est-ce que les politiques auront vu également les critiques sur le web? Est-ce que d’autres avis auront été portés à leur connaissance par d’autres voies? On peut en douter. Le poids de ces messieurs les grands patrons est monumental. Comment éviter Orange, Google ou Facebook quand on parle du web? Oui mais peut-on aussi se passer de la voie des utilisateurs? j’en doute. L’Internet voulu par ces personnes n’est pas le mien, n’est pas celui que je veux.
G8 : gouvernements et intérêts privés attaquent nos libertés, toujours sur La Quadrature du Net. La déclaration finale du G8 concernant Internent s’intéresse principalement au droit d’auteur (oui, celui-là même qui, en l’état actuel, profite beaucoup aux majors). La liberté d’expression, la neutralité du Net ou la créativité par exemple ne semblent guère importantes. Afin de protéger des œuvres contre le piratage, la déclaration prône un modèle dans le sens de l’ACTA ; grosse erreur évidemment, symptomatique d’une vision ancienne du web et de la distribution de la culture, non adaptée aux nouvelles pratiques, et qui démontre une volonté terrible de ne pas se remettre en question. Tout ceci allant à l’encontre de ce que préconise le rapporteur spécial des Nations Unies pour la liberté d’expression et d’opinion.
Petit florilège donc, quelques articles piqués de ci de là, qui ne sont que quelques gouttes dans l’océan de criques à l’encontre de l’e-G8, sinistre farce donnant aux plus puissants dirigeants une vision tronquée de l’un des plus beaux outils que l’Homme ait créé.